La dictée d'Eduardo Berti - Corrigé - Médiathèque de Villeneuve sur Lot

Un grand merci à tous les participants de la dictée du Festival Villeneuve se livre 2024 dont voici le texte. N'hésitez pas à demander votre copie à la Bib.

Extrait réécrit d'après

LA VIE IMPOSSIBLE, Ed. Actes Sud, 2003.

D'EDUARDO BERTI

Cela peut sembler ébouriffant, mais à une époque mon frère revivait strictement en rêve ce qui lui était arrivé pendant la journée. C’était comme si quelqu’un filmait son activité diurne pour la lui projeter pendant la nuit, minutieusement égale, telle une ligne parallèle. En somme, mon frère vivait chaque journée deux fois, et jusque dans le moindre détail : une fois comme protagoniste conscient, l’autre comme spectateur dormant.

« Mes rêves sont des échos parfaits », raisonnait-il. « Des échos qui récompensent ou punissent mes actes du jour ». Je comprenais son angoisse : après une journée satisfaisante, il se réjouissait parce qu’un rêve agréable l’attendait ; mais à la suite d’une mauvaise journée il ronchonnait : « Le plus épouvantable c’est que je dois la revivre ». C’était comme refaire une balade en enfer, c’était comme pêcher deux fois les mêmes poissons.

À une occasion, après une journée atroce, mon frère eut l’idée insensée de passer la nuit sans dormir ; or, cette ruse ne pallia ni n’atténua le danger, parce qu’en s’endormant le lendemain soir il revécut les deux journées consécutives, y compris l’intervalle un peu exubérant de son insomnie.

Personne ne peut encore s’expliquer pourquoi il commença à guérir en l’espace de quelques mois. J’ose décrire ce processus comme une délivrance graduelle. Même si les actes et les tâches de la journée constituaient encore l’axe central de ses rêves, il s’écartait chaque nuit un peu plus du mimétisme. D’abord en altérant de minuscules détails ; ensuite, en intercalant, entre les faits avérés, d’autres faits qui étaient lointains ou inauthentiques.

Cinq semaines passèrent avant l'atterrissage de son premier rêve « autonome », sans le moindre lien avec la veille. Mais à partir de ce moment, mon frère fut incapable de nous raconter ses rêves. Il se réveillait désormais avec une mémoire blanche ; ses rêves lui glissaient entre les doigts. Bientôt nous l’entendîmes ressasser : « J’ai tellement encouragé leur autarcie que j’ai fini par les perdre ».

 

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